19 - Les Johnnies
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Vendeurs
d’oignons rosé de Roscoff en Grande-Bretagne depuis 1828
L'oignon " rosé " qui est la spécificité de la région de ROSCOFF a été apporté du Portugal au XVIIème siècle par un moine capucin qui apprit à ses voisins du couvent de ROSCOFF à cultiver cet oignon doux, parfumé, fondant à 1ère cuisson. En 1828, un cultivateur de ROSCOFF, Henri OLLIVIER, eut l'idée de charger une gabarre de ces oignons pour aller les vendre en ANGLETERRE. Ce fut le début d'un commerce qui s'est poursuivi jusqu'à nos jours.
Comment se faisait ce commerce ? Qui étaient
ces marchands d'oignons qu'on appelait " JOHNNIES " ?
Les oignons et les hommes ont longtemps été
transportés Outre‑Manche par des bateaux à voile : goélettes, dundees venant de la
côte du TREGOR : Perros‑Guirec, Pleubian. Cette marine à voile s'éteignit au moment
de la 2e guerre mondiale; les cargos l'avaient remplacée, impliquant concentration des
marchandises exportées et recours aux services d'affréteurs et de courtiers. Les hommes
voyageaient dès lors par fer et ferries. Il y eut des pertes d'hommes dans ces transports
: 70 hommes périrent lors du naufrage du steamer HILDA en 1905.
Déjà au début du XXe siècle les hommes du
pays de ROSCOFF : St POL de LÉON, SANTEC, Ile de BATZ, PLOUGOULM, SIBIRIL, CLEDER,
avaient couvert toute la GRANDE-BRETAGNE: PAYS de GALLES, ANGLETERRE, ÉCOSSE en vendant
leurs oignons de porte en porte. Les Anglais émus par le jeune âge de beaucoup d'entre
eux ‑ 9, 10 ans ‑ les appelèrent "JOHNNY" : "petit Jean" et les
marchands d'oignons se sont appropriés le nom en s'appelant eux-mêmes: "AR
JOHNNIGED" : les JOHNNIES.
Les oignons étaient tressés en "bottes
de à ou 4 kgs enfilées sur un bâton porté à l'épaule. Les tresses étaient faites
par des "botteleurs" dans un "magasin" servant à la fois d'entrepôt
pour les oignons et de logement pour les botteleurs et vendeurs. L'ensemble de ces hommes
constituait une "compagnie" dirigée par un "master" : le chef. Ces
compagnies pouvaient avant la guerre de 1914 comporter jusqu'à 60 hommes. Après 1920,
les compagnies se réduisirent à moins de 10 hommes et jeunes gens commençant à 12,
puis 14 ans La bicyclette qui se développa dans les années 30 libéra les épaules des
Johnnies et popularisa leur image : béret, sourire et oignons ruisselant en chapelets sur
les guidons qui portaient jusqu'à 150 kilos d'oignons. Des camions ou "lorries"
facilitèrent plus tard cette vente "à la chine" directement auprès des
ménagères britanniques qui acceptaient de payer plus cher cet oignon breton eu égard à
sa qualité gustative et à sa bonne conservation.
Le métier de Johnny toujours cependant
difficile et qui conduisait chaque année à une séparation des familles de 6 mois ‑ de
juillet à janvier ‑ se justifiait dans les premiers temps par une nécessité de
survie. Entre 1920 et 1930, on a pu cependant parler d'un "âge d'or" : 1929
aurait ainsi vu le plus grand nombre de Johnnies ‑ environ 1400 ‑ et les plus forts
tonnages d'oignons expédiés en Grande‑Bretagne ‑ autour de 9000 tonnes. C'est dans
cette décennie qu'on relève à ROSCOFF la plus forte construction de maisons et le plus
fort achat de terrains agricoles par les Johnnies. Les gros tonnages nécessaires
appelèrent une production d'oignons dans des communes plus éloignées PLOUESCAT,
PLOUNEVEZ‑LOCHRIST.
Après la crise générale de 1929, une vague
protectionniste en Grande-Bretagne et une forte dévaluation de la livre rendirent le
marché moins favorable aux Johnnies. Au lendemain de la 2e guerre mondiale, les Anglais
limitèrent les importations d'oignons et obligèrent les Johnnies à se constituer en
société commerciale de producteurs-vendeurs : 1"'Association des Marchands
d'oignons de ROSCOFF et de sa Région" Par ailleurs, les aléas du change, les
restrictions à la vie familiale qu'accroissaient le non‑bénéfice des régimes sociaux
établis après guerre : allocations familiales parfois et retraites détournèrent les
jeunes du métier de Johnny .
En 1972, année de la mise en route à partir
de ROSCOFF des Brittany Ferries les Johnnies étaient au nombre de 160. Aujourd'hui une
vingtaine d'hommes se retrouvent encore en Angleterre pour des séjours de quelques
semaines ou au contraire pour de longs séjours qui permettent une pleine scolarité des
enfants dans les écoles anglaises.
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Les
différentes catégories sociales
Le groupe des Johnnies lui-même se calque
sur des catégories sociales qui existaient à ROSCOFF avant la Révolution. Disposant de
moins de 3 hectares, le « laboureur », petit fermier ou petit propriétaire
devait chercher un revenu complémentaire pour nourrir sa famille - nombreuse jusqu'aux
années 20.
Ayant des oignons et pouvant "faire
l'avance" d'un contingent supplémentaire auprès de producteurs sédentaires ce
paysan-Johnny devenait en Angleterre patron de compagnie. II salariait en dehors de sa
famille des vendeurs et botteleurs "journaliers" dans la région de ROSCOFF,
c'est à dire louant leurs services dans les fermes "à la journée" ou
employés plus avant dans le siècle comme ouvriers "emballeurs" chez les
expéditeurs de légumes produits entre janvier et juillet. Certains d'entre eux après
les années fastes 1920‑1930 ont pu partir en Angleterre "à leur compte",
constituant ainsi une forme d’ « artisans-Johnnies ».
Les femmes
et les enfants aussi
Quelques femmes ont suivi leur mari Outre‑Manche. La majorité, cependant, restait à ROSCOFF, tenue par les rythmes scolaires des enfants. Les femmes des paysans-Johnnies assuraient, en outre, la récolte d'oignons d'août. En septembre, elles faisaient sécher au soleil et au vent la graine d'oignon, puis elles effectuaient les achats d'oignons pour un deuxième ou troisième chargement En avril, c'était aussi des escouades de femmes qui "repiquaient" les oignons dans les fermes : ar piketerezed. Et, après la récolte d'août, les enfants avaient pour tâche de glaner les petits oignons pour que leurs mères en fassent des "piglens", adaptation roscovite des "pickles", condiments au vinaigre des Anglais.
Un milieu de
convictions solides et en même temps ouvert. Des individus passionnés, autonomes
Le monde des Johnnies avait la langue ‑ le
breton ‑ et les mœurs d'une société rurale bretonne marquée par de fortes
convictions sur la vie, la mort et, en tant que léonarde, imprégnée de catholicisme.
Ainsi les départs en Angleterre se faisaient traditionnellement après le 3e lundi de
juillet, jour du pardon de Ste Barbe dont la chapelle domine le port de ROSCOFF.
Cependant, la faible possession de biens, le
brassage social, la participation à la vie du port : cafés, agences maritimes, bateaux
en chargement, et enfin l'aventure et les contacts outre-Manche ont fait de ce monde des
Johnnies des gens ouverts, déguisant en humour les risques encourus et les peines de leur
vie. Autonomie des individus, égalité des sexes dans les décisions touchant aux biens
et aux enfants, ouverture sur le monde, énergie à entreprendre : des valeurs ici de
modernité
Avril 2000 ‑ Une Appellation d'Origine Contrôlée est souhaitée pour l'oignon rosé de ROSCOFF
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